‒   Monsieur Léon Fauchère, avez-vous tué votre épouse, Charlotte Fauchère ?
‒   Ben, M’sieur l’Commissaire, faut d’jà qu’j’vous dise que personne l’appelait Charlotte, ma gonzesse. Voyez, Charlotte, qu’elle disait toujours, ça fait charlotte aux fraises, et elle, elle pensait qu’elle était pas assez bonne pour avoir l’même nom qu’un bon dessert. Qu’est-ce qu’elle en savait, c’te gourde, qu’c’était un bon dessert ? Elle était même pas foutue d’faire cuire une omelette, alors comment vous voulez qu’elle sache le goût qu’ça a, une charlotte aux fraises ? C’était son père qui lui avait donné c’blase, vous comprenez, la seule fille de la famille, quatre frères qu’elle avait, la Charlotte, alors son p’pa, y disait toujours qu’elle était son p’tit sucre, sa p’tite cerise sur l’gâteau, voyez l’genre. L’aurait dû l’app’ler clafoutis ! Bon, j’vois qu’ça vous fait pas marrer … Mais ma femme, elle pouvait pas piffer son blase, elle voulait qu’on l’appelle Gina, comme l’actrice, là, elle trouvait qu’ça f’sait plus classe ! Plus classe, M’sieur l’Commissaire, non mais j’vous jure ! A se pisser au froc de rire ! Qu’est-ce qu’elle avait d’classe, c’te femme-là ? Avec son cul large comme l’allée d’l’église, ses godillots pleins d’boue, son tablier, ses bigoudis ? Gina, laissez-moi rigoler ! Mais c’était quoi vot’ question d’jà, M’sieur l’Commissaire ?
‒   Je vous demandais si vous aviez tué votre épouse.
‒   Ah, mais c’est qu’elle était pas vraiment mon épouse, voyez-vous. Vous êtes marié, M’sieur l’Commissaire ? Alors vous savez bien qu’une épouse, ça fait l’ménage, ça fait la cuisine, et la lessive ! Ben, ma Gina, elle savait rien faire ! Vous m’croirez pas si j’vous dis qu’elle cramait tous les r’pas, qu’les cochons y z’étaient mieux logés dans leur porcherie que nous dans not’ baraque. Une calamité, j’vous jure qu’c’est vrai. Une ratée, une nigaude même pas foutue d’repriser une chaussette ou d’repasser une ch’mise. Et, M’sieur l’Commissaire, entre hommes, on peut s’le dire ? Au lit, la Gina, elle aurait r’froidi un macchabée ! De toute façon, elle voulait plus, ça fait plus d’dix ans que j’lui avais pas tâté un nichon, à c’te gueuse. Alors, vous voyez qu’on peut pas dire qu’c’était mon épouse, hein ? Mais j’m’égare, vous pouvez répéter vot’ question, M’sieur l’Commissaire ?
‒   Pour la dernière fois, avez-vous tué votre épouse ?
‒   Tué, tué, tout d’suite les grands mots ! J’tue les poulets … euh, pardon, M’sieur l’Commissaire, j’parlais pas d’vous … j’tue les cochons, un sanglier ou deux pendant la chasse, mais j’tue pas les gens. J’suis un honnête homme, moi, M’sieur l’Curé vous l’dira. Des fois j’me mets en rogne, c’est sûr, c’est qu’y faut voir l’temps qu’elle mettait, la Gina, pour m’am’ner mon calva. La cervelle d’une brebis, ouais, et l’énergie d’une vache enrhumée ! Bon, c’est vrai qu’elle a cassé sa pipe, la pauvrette, mais vous trouvez pas qu’ça débarrasse la région d’une teigne, M’sieur l’Commissaire ? Entre nous, on s’porte pas mieux de plus voir sa tronche racornie ? Elle pouvait pas mieux finir que sous c’tas de fumier puant, moi j’vous l’dis. J’ai juste retiré l’échelle d’la fosse, moi, j’ai tué personne. Bon, j’vous dis pas que j’y ai jamais pensé, hein, on est d’accord ? Quand on a un pareil boulet pendu aux basques, y a la haine qui monte, hein ! Mais on n’est pas des sauvages, alors on passe sa rogne avec deux-trois baffes, juste c’qui faut et c’est r’parti pour un tour. J’vois qu’vous m’comprenez, M’sieur l’Commissaire, ça doit pas être facile tous les jours avec votre grognasse, c’est qu’elle est pas piquée des vers non plus, la vôtre ! C’est la baronne de la Tronchenbiais après un tour dans l’essoreuse, votre dame, sauf vot’ respect. Allons, pleurez pas, M’sieur l’Commissaire, ça m’fend l’coeur ! On pourrait p’t-être s’arranger pour vot’ Simone ? J’l’aide à faire une p’tite galipette dans l’ravin, ou j’m’arrange pour qu’elle glisse dans la rivière, vu qu’elle nage comme une enclume ! Allez, c’est comme si c’était fait, on s’quitte bons amis, et rendez-vous ce soir au bistrot pour fêter ça ! Bonne journée, M’sieur l’Commissaire, à la r’voyure !