Si demain existe

Je m'apprête à pénétrer dans l'arène. Mon tailleur me serre comme un habit de matador privé de ses éclats de lumière. Tenue chic mais sobre. Des talons suffisamment hauts pour gagner en prestance, mais pas trop pour ne pas prendre le risque de vaciller. Maquillage léger, subtil. Je ne le sais que trop, dès que j'aurai franchi le seuil de la salle de conférence, je serai analysée, décortiquée, jugée sur ma seule apparence. Le produit que je leur présenterai n'a aucune importance. Ce sont leurs hormones qui parleront. Réactions viscérales, instinctives, sur lesquelles j'ai renoncé à trouver une prise ou une parade. Je veille simplement à ne pas les alimenter comme on nourrirait un loup affamé.

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Lune noire

Je sens que la transformation débute. Elle s'annonce toujours par des picotements dans les membres, d'abord légers et plutôt agréables, puis gagnant en intensité, presque jusqu'à la douleur. Mes muscles se tendent, se tordent comme si j'avais des serpents sous la peau. Des spasmes remodèlent impitoyablement mes ligaments, mes cartilages, mon squelette tout entier. Les articulations craquent sous la tension. Je ne peux pas garder la station verticale plus longtemps, et je me laisse tomber souplement sur mes quatre pattes.

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La vraie vie

Mona se réveilla en sursaut. L'eau de son bain était devenue froide et elle frissonna. Elle sortit rapidement de sa baignoire et se frictionna longuement avec une serviette chaude. Elle était contrariée de s'être endormie, il lui semblait qu'elle avait perdu bêtement tous les bénéfices que son bain aux herbes ayurvédiques aurait pu lui apporter. Un bref coup d'œil à sa montre lui indiqua qu'elle avait juste le temps de s'habiller avant le rendez-vous avec son esthéticienne. Pourquoi s'était-elle assoupie dans son bain ? Elle avait pourtant bien dormi, et avait traîné tard dans son lit bio-régulé.

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Espèce dominante

Kristy n'avait aucunement conscience d'appartenir à l'ordre des Coléoptères, famille des Digonophorus Rubralateris. D'ailleurs, cela ne l'intéressait pas. Elle était amoureuse, et c'était la seule chose qui comptait. Les magnifiques reflets cuivrés de ses élytres avait séduit le beau Fredo, le tombeur de ces dames, celui qui faisait battre le cœur et vibrer les antennes de toutes ses congénères. Elle n'en revenait toujours pas. Il était tellement sexy, la masse virile de sa carapace noire luisant dans la lumière crépusculaire, ses longues mandibules dressées, prêtes à conquérir l’univers, sa démarche altière et souple, celle d’un animal fier et en pleine possession de ses moyens. C’était le mâle parfait, et il l’avait choisie, elle, contre toute attente.

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Bleu citrouille

La nouvelle s'étale en une du journal … Drôles de jardiniers dans le potager partagé ! Sylvain repose lentement le feuillet de « La Gazette du pays de Guingois » sur la table. L'œil vague, il saisit machinalement sa tasse et boit une gorgée du café refroidi. À son avis, le titre de l’article ne reflète pas vraiment la situation, l’histoire n’a en réalité rien de drôle. Mais c’est le rédacteur en chef qui l’a choisi, et ses décisions ne se discutent pas. Autour de lui, la terrasse du troquet bruisse de conversations, qui, ce matin, sont assourdies et fébriles, loin de l'animation joyeuse qui prévaut d'habitude au café des Amis. Sylvain capte les regards chargés d'incrédulité, de sarcasme, voire de pitié ouvertement lancés dans sa direction. Mais il s'en moque.

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