La dernière traversée

La violence du choc est proprement ahurissante. L'instant d'avant, Arthur regarde défiler la campagne baignée de lumière. Ses parents se disputent sur l'itinéraire à suivre, rien de nouveau sous le soleil. Adeline n’a jamais su donner une direction cohérente à son mari et laisse son âme d'artiste se perdre dans les méandres colorés de la carte routière.

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Si demain existe

Je m'apprête à pénétrer dans l'arène. Mon tailleur me serre comme un habit de matador privé de ses éclats de lumière. Tenue chic mais sobre. Des talons suffisamment hauts pour gagner en prestance, mais pas trop pour ne pas prendre le risque de vaciller. Maquillage léger, subtil. Je ne le sais que trop, dès que j'aurai franchi le seuil de la salle de conférence, je serai analysée, décortiquée, jugée sur ma seule apparence. Le produit que je leur présenterai n'a aucune importance. Ce sont leurs hormones qui parleront. Réactions viscérales, instinctives, sur lesquelles j'ai renoncé à trouver une prise ou une parade. Je veille simplement à ne pas les alimenter comme on nourrirait un loup affamé.

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Lune noire

Je sens que la transformation débute. Elle s'annonce toujours par des picotements dans les membres, d'abord légers et plutôt agréables, puis gagnant en intensité, presque jusqu'à la douleur. Mes muscles se tendent, se tordent comme si j'avais des serpents sous la peau. Des spasmes remodèlent impitoyablement mes ligaments, mes cartilages, mon squelette tout entier. Les articulations craquent sous la tension. Je ne peux pas garder la station verticale plus longtemps, et je me laisse tomber souplement sur mes quatre pattes.

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Colère blanche et trou noir

Céline sourit à son reflet dans le miroir. Ses grands yeux bleus limpides n’ont pas encore renoncé à la candeur et à l’innocence de l’enfance et posent toujours sur le monde un regard émerveillé. Elle observe sa peau claire, si fine et délicate qu’elle ne semble pas posséder le pouvoir de la protéger des agressions extérieures. Elle aime moins sa bouche, elle trouve qu’elle ressemble à ces petites lèvres peintes en rose sur le visage des poupées d’antan, et qui leur donnent un air pincé et peu naturel. C’est pourquoi elle sourit tout le temps, pour adoucir cette moue figée de celluloïd.

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Un ça va, deux c’est trop

La nuit est glaciale. Jim et Jeff sont emmitouflés dans une parka fourrée noire qui absorbe la pâle lueur des réverbères. De sa main gantée, Jim rajuste son bonnet pour se protéger des rafales de vent. Les pieds trempés par leur longue station dans un amas de neige sale fondue, il étouffe un juron. Les deux frères sont dissimulés derrière de vieux containers qui répandent dans la ruelle déserte une odeur de pourriture et de rat crevé. Des ombres épaisses leur collent à la peau, comme un manteau d’angoisse trop serré.

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Noces de chêne

Le repas avait été joyeux. Un menu festif, quelques guirlandes au mur, et même l'autorisation exceptionnelle d'un verre de vin par personne. Ils sont une soixantaine attablés, par petits groupes de quatre. Déjà certains s'endorment à moitié, la tête penchée sur leur chemise du dimanche ou leur robe de fête.

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La vraie vie

Mona se réveilla en sursaut. L'eau de son bain était devenue froide et elle frissonna. Elle sortit rapidement de sa baignoire et se frictionna longuement avec une serviette chaude. Elle était contrariée de s'être endormie, il lui semblait qu'elle avait perdu bêtement tous les bénéfices que son bain aux herbes ayurvédiques aurait pu lui apporter. Un bref coup d'œil à sa montre lui indiqua qu'elle avait juste le temps de s'habiller avant le rendez-vous avec son esthéticienne. Pourquoi s'était-elle assoupie dans son bain ? Elle avait pourtant bien dormi, et avait traîné tard dans son lit bio-régulé.

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Alerte catastrophe

Je m’enfonce sous la couette en poussant un long soupir de soulagement. Quel délice de pouvoir se laisser couler dans un monde de douceur et de tiédeur bienfaisantes après une longue et dure journée de travail. Ivre de bien-être, je flotte dans une mer de plumes comme une bactérie dans l’océan primordial, je lévite telle une bulle de savon en pleine ascension spirituelle, je me sens aussi légère qu’une meringue posée sur un lit de crème chantilly.

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La rose

L’air est doux ce matin. Il est sorti précipitamment de son appartement sombre aux rideaux tirés, pressé par une soif soudaine d’air frais et de lumière. Sur le pas de la porte cochère, il s’arrête, giflé par les rayons pourtant timides d’un soleil à peine levé. Les yeux plissés par la lumière et par l’effort, le souffle court, il fait quelques pas précautionneux, comme un explorateur foulant respectueusement une terre inconnue.

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Monstrueux mystère

L'homme était petit, mais sa présence ne passait pas inaperçue. Debout sur une caisse en bois, les bras et les mains gesticulant au-dessus de la foule pour appuyer son discours, il était vêtu d'une redingote toute en paillettes dorées et d'un pantalon noir brillant qui tire-bouchonnait sur des bottes rouges en faux croco. De sa chemise à jabot jaillissait un long cou maigre et ridé qui lui donnait l'apparence d'un vautour vieillissant. Une moustache stylisée, accrocheuse, dissimulait en partie la pâleur de son visage.

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Espèce dominante

Kristy n'avait aucunement conscience d'appartenir à l'ordre des Coléoptères, famille des Digonophorus Rubralateris. D'ailleurs, cela ne l'intéressait pas. Elle était amoureuse, et c'était la seule chose qui comptait. Les magnifiques reflets cuivrés de ses élytres avait séduit le beau Fredo, le tombeur de ces dames, celui qui faisait battre le cœur et vibrer les antennes de toutes ses congénères. Elle n'en revenait toujours pas. Il était tellement sexy, la masse virile de sa carapace noire luisant dans la lumière crépusculaire, ses longues mandibules dressées, prêtes à conquérir l’univers, sa démarche altière et souple, celle d’un animal fier et en pleine possession de ses moyens. C’était le mâle parfait, et il l’avait choisie, elle, contre toute attente.

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Aller simple

Ordre de mobilisation. Matricule BA-47/64.928. Il est assis sur le rebord de son lit, le dos voûté, les coudes sur les genoux, les mains soutenant son visage défait. A ses pieds, son barda est posé, inerte. Il le fixe des yeux, incapable de déceler dans cet amas informe la moindre trace de danger, le moindre potentiel de destruction. Son matériel lui semble futile, inutile, une mascarade, même son fusil ressemble à un jouet. Jamais la fragilité de sa vie ne lui a paru aussi évidente qu'en cet instant.

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Cap’taine Rascasse

Foutue journée ! La pluie tambourine contre la fenêtre, martelant mon crâne déjà martyrisé par une longue nuit de solitude et d'ivresse. Je sais bien que le whisky ne fera pas revenir ma femme, d'autres ont déjà essayé, ça ne marche pas ! C'est juste une tentative d'oubli qui te revient en pleine gueule le lendemain matin, la tête en enclume et l'haleine d'un tuberculeux en phase terminale en plus.

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Bleu citrouille

La nouvelle s'étale en une du journal … Drôles de jardiniers dans le potager partagé ! Sylvain repose lentement le feuillet de « La Gazette du pays de Guingois » sur la table. L'œil vague, il saisit machinalement sa tasse et boit une gorgée du café refroidi. À son avis, le titre de l’article ne reflète pas vraiment la situation, l’histoire n’a en réalité rien de drôle. Mais c’est le rédacteur en chef qui l’a choisi, et ses décisions ne se discutent pas. Autour de lui, la terrasse du troquet bruisse de conversations, qui, ce matin, sont assourdies et fébriles, loin de l'animation joyeuse qui prévaut d'habitude au café des Amis. Sylvain capte les regards chargés d'incrédulité, de sarcasme, voire de pitié ouvertement lancés dans sa direction. Mais il s'en moque.

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Braziella

Braziella a un problème. En elle couve un brasier perpétuel, une incandescence de feu de forêt, un torrent de lave indompté. Elle mérite bien son nom : la Fée des Braises. À sa naissance, elle portait déjà dans sa poitrine une étincelle timide, mais prometteuse. En grandissant, cette escarbille est devenue flamme, puis feu de joie. Braziella est la fée qui porte la responsabilité de tout ce qui est embrasement, de l'allumage d'une bougie à la destruction d'une ville par le feu.

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Sidérale déception

‒    Chef ! Chef, réveillez-vous ! ‒    Hein ? Quoi ? Que pasa ? ‒    Chef, c'est la sirène, il y a une alerte ! Prosper ouvre un œil. Juste un, l'énergie utilisée pour soulever une paupière lui promettant un week-end entier de récupération. Gilou est penché sur lui et le secoue prudemment. Réveiller le chef peut parfois avoir des conséquences douloureuses. L'adjoint fixe intensément l'œil ouvert, chargeant son regard d'un message qu'il espère rempli d'urgence.

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Une vie de parapluie

L'air est lourd, comme une colère en embuscade qui attend de surgir. Il règne une moiteur de fin d'été, qui sait ses jours comptés. Sur l'horizon, les hordes de nuages noirs crépitent d'éclairs intermittents, mais de pluie, point encore. La fraîcheur joue les vierges effarouchées, titillant l'espoir et se moquant de l'impatience.

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Le secret

Adèle a 15 ans. Ce pourrait être l'âge de l'insouciance, l'âge de vivre sans se préoccuper de l'avenir, parce que l'avenir, c'est un truc pour les vieux. Mais le destin d'Adèle est sombre. Elle a joué et elle a perdu. Et la chose grossit, impitoyablement.

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Négligence fatale

La situation empire de jour en jour. C’était pourtant déjà arrivé, même si, à l’époque, je m’en étais sortie de justesse. Ma mémoire est courte, mais je me souviens encore de cette lente asphyxie, de cette sensation terrifiante d’affaiblissement, de déliquescence inexorable. Je me rappelle la déficience graduelle de mes fonctions cérébrales, cette apathie grandissante qui me contraignait à une dérive incontrôlable.

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Retour au naturel

J'entame aujourd'hui le huitième volume de mes "Pensées". Comme les premiers carnets, celui-ci est fabriqué sur mesure, tout spécialement pour moi. Sa couverture en cuir d'agneau pleine fleur estampillée des armoiries des Saint-Clair, les feuillets de papier fait main, le fin marque-page en fil de soie de Bagdad, tout concourt à rendre cet objet exceptionnel et inestimable.

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À un détail près

Allongé sur le sable, le Grand Ordonnateur sourit. Une douce brise marine joue dans ses longs cheveux, un soleil réconfortant illumine sa peau dorée, et le bruit régulier des vagues le berce, accompagnant sa rêverie. Soupirant de satisfaction, il contemple sa création. Cela fait six jours qu'il y travaille, et le résultat est à la hauteur de ses espérances, époustouflant de perfection.

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Même pas malle

Assise à la terrasse du Café Clochette, Blanche broyait du noir en buvant un p'tit noir. Elle venait de claquer huit cents balles pour des fringues délirantes qu'elle ne porterait jamais. Même dégriffées, ça égratigne. Un top Isabel Marant, comme si le nom de la créatrice avait le pouvoir de lui rendre la banane, un bout de tissu si minuscule qu'elle n'osait pas calculer le prix au mètre carré de peur de se mettre à chialer.

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Des amis pour la vie

6 janvier 1919, New York Arrivée devant la porte à deux battants, Teresa s'arrêta et, d'un geste machinal, fit glisser une mèche de cheveux rebelle sous sa coiffe. À travers la petite ouverture vitrée, elle voyait la longue travée étroite qui séparait la cinquantaine de lits de la salle commune. La jeune femme détestait cet endroit. Entre elles, les infirmières de l'hôpital Bellevue l'appelaient Le Terminal. Mêmes les patients le savaient, s'ils quittaient leur chambre privée pour la salle commune du rez-de-chaussée, c'était pour toujours.

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